Destruction des fonds marins: une fois de plus, la Suisse joue la montre

Au fond des océans, des gisements de minéraux attirent la convoitise. Plusieurs Etat, dont la France et l'Allemagne, appellent à un moratoire sur leur exploitation, qui serait désastreuse pour l'environnement et la pêche. La Suisse n'a pas accès à la mer, mais sa voix compte. Or, le Conseil fédéral tergiverse, déplore Raphaël Mahaim, conseiller national vert.

Les fonds de la mer Rouge. | Unsplash / Francesco Ungaro
Les fonds de la mer Rouge. | Unsplash / Francesco Ungaro

Il y a des moments charnière dans la protection internationale des ressources naturelles, des tournants qui peuvent déterminer l’avenir des écosystèmes et de la vie sur Terre. L’accord de Paris sur le climat signé en 2015 en était un. Un autre se joue dans les semaines à venir, dans une indifférence regrettable: l’exploitation minière des fonds marins, aujourd’hui encore interdite, pourrait devenir une réalité.

Des métaux enfouis sous les océans

Les richesses naturelles des fonds marins attisent toutes les convoitises. En ligne de mire: l’extraction de métaux comme le nickel, le cobalt, le zinc et le manganèse. Ils sont devenus des matières premières très recherchées dans notre monde boulimique d’équipements numériques, remplacés et jetés à un rythme effréné. L’exploitation devrait se dérouler à une profondeur de 4000 à 6000 mètres, au moyen d’immenses machines dont l’impact est destructeur pour les fonds marins.

En mai 2022, l'autorité internationale des fonds marins (ISA) a délivré plus de 30 autorisations d'exploration des fonds marins en eaux profondes, pour une surface de près de 1,5 million de km2 — environ la taille de la Mongolie. Plusieurs demandes de licences pour l'exploitation ont été demandées depuis et l’ISA doit statuer cet été à leur sujet, sans doute en juillet 2023.

Comme l’écrit très justement Greenpeace Suisse dans sa campagne à ce sujet:

«Imaginez que nous puissions remonter le temps, stopper les premières exploitations pétrolières en mer et éviter ainsi les déversements pétroliers et réduire le réchauffement climatique. C’est exactement à ce carrefour que nous nous trouvons en ce qui concerne l’extraction minière en eaux profondes.»

L’océan, patrimoine commun du vivant

Ces activités prédatrices seraient catastrophiques. Les fonds marins constituent les derniers écosystèmes à n’être pas (encore) trop affectés par les activités humaines. On peut sans exagérer dire qu’ils sont moins connus que la surface de la Lune ou de Mars. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’ils jouent un rôle essentiel pour le bon fonctionnement des écosystèmes marins. Les ressources halieutiques, ainsi que la vie de nombreuses personnes, dépendent directement de la bonne santé des océans.

Selon les estimations de l’ONU, l’exploitation des fonds marins pourrait durablement affecter la pêche, menaçant la première source de protéines d'environ trois milliards de personnes et les moyens de subsistance de quelque 200 millions. S’il est bien un domaine où la communauté internationale doit pouvoir démontrer sa capacité d’action pour protéger les communs de l’humanité, c’est bien celui de la mer. Au-delà des eaux territoriales de chaque Etat, l’océan n’appartient à personne. C’est donc un patrimoine commun du vivant…

Vers un moratoire sur la destruction des fonds marins?

Pour ces raisons, de nombreux Etats — dont plusieurs voisins de la Suisse — se sont déjà exprimés publiquement en faveur d’une interdiction pure et simple de l’exploitation minière des fonds marins, ou a minima pour un moratoire sur l’octroi de licences, dans l’attente d’étude scientifiques complètes sur le sujet. La Nouvelle-Zélande, le Chili, le Costa Rica, l’Allemagne, l’Équateur, les îles Fidji, les États fédérés de Micronésie, la France, Palau, Panama, Samoa et l’Espagne se sont déjà positionnés en ce sens.

Avec mon collègue Nicolas Walder (conseiller national vert de Genève, ndlr.), nous avons à plusieurs reprises interpellé le Conseil fédéral sur ses intentions en la matière, afin d’exprimer au plus vite une position critique, susceptible d’influencer dans le bon sens les discussions internationales.

Même si la Suisse n’a pas d’accès à la mer, elle est concernée au même titre que les autres Etats, du fait de son appartenance à l’ISA.

Si la Suisse osait se mouiller sur le sujet, elle serait d’ailleurs en bonne compagnie, aux côtés de grandes puissances comme la France, l’Allemagne et l’Espagne. Rien que cela!

Les atermoiements de Berne

Dans sa réponse à une première interpellation en date de 2021, le Conseil fédéral annonçait vouloir examiner «toutes les mesures appropriées» sur la scène internationale, en particulier dans le cadre de l'ISA. Il rappelait à cette occasion que la réglementation actuelle de l'ISA «ne suffisait plus à fournir la protection ad hoc du milieu marin» et indiquait même «examiner également l'option d'un moratoire international».

Lors de la dernière session parlementaire en mars 2023, le Conseil fédéral a déclaré en substance à la tribune du Conseil national être toujours en train de procéder à une analyse de la situation. Il précisait qu’il arrêterait sa position définitive avant l’échéance fatidique du vote de l’ISA, à l’été 2023.

Ce faisant, la Suisse ne contribue pas à la dynamique des négociations alors qu’elle pourrait influencer le débat en faveur d’un moratoire.  Cette position attentiste et pusillanime est indigne d’un Etat qui a pourtant toutes les cartes en mains pour jouer un rôle diplomatique favorable.

La Suisse pourrait-elle se faire connaître sur la scène européenne et internationale pour autre chose que le sauvetage de ses banques? Il reste encore quelques semaines au Conseil fédéral pour sortir du bois. On retient son souffle…